Sebastien Moutoussamy

Congés payés : la France se met au diapason des directives européennes

Le 13 septembre 2023, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence majeur concernant les congés payés. Une révolution en matière de droit du travail, plus particulièrement en ce qui concerne les congés payés. 

Jusqu’alors, aussi bien la législation que la jurisprudence françaises étaient contraires au droit de l’Union européenne.
Quatre décisions ont été rendues le même jour sur cette thématique des congés payées.

1. Congés payés et congé parental d’éducation

Situation avant le 13 septembre : le salarié perdait le bénéfice de ses congés payés acquis avant son départ en congé parental, s’il revenait après l’expiration de la période de prise de congés. Attention, il est à noter qu’une loi n°2023-171 du 9 mars 2023 est venue changer les choses en prévoyant que désormais le salarié en congé parental d’éducation conserve le bénéfice de tous les avantages acquis avant le début du congé.

Apport de l’arrêt : 

Un salarié qui n’a pas pu prendre ses congés payés avant de partir en congé parental d’éducation ne les perd plus et peut les reporter (pour ceux qui ont pris un congé parental avant le 11 mars 2023).

Les faits d’espèce et la motivation :

Dans cette affaire, une salariée a été successivement placée en arrêt maladie, en congé pathologique et prénatal, en congé maternité puis a sollicité un congé parental d’éducation. A la fin du congé parental, la salariée a bénéficié d’une rupture conventionnelle. 

Quelques mois après, celle-ci a saisi les prud’hommes aux fins de percevoir une indemnité de congés payés au titre des congés qu’elle avait acquis avant son arrêt maladie et qu’elle n’avait jamais pu prendre. Le conseil des prud’hommes rejeta sa demande, considérant que « les congés payés acquis par Mme [S] avant le début de son congé parental ne pouvaient être reportés à l’issue de ce congé au motif que la salariée n’avait pas été empêchée de les prendre à l’issue de la période de référence ».  

La Cour de cassation, décidant de rompre avec sa jurisprudence traditionnelle pour se mettre en conformité avec le droit européen, décide que : les droits acquis ou en cours d’acquisition par le travailleur à la date du début du congé parental sont maintenus en l’état jusqu’à la fin du congé parental. Ces droits s’appliquent à l’issue du congé parental, tout comme les modifications apportées à la législation, aux conventions collectives et/ou à la pratique nationales. Il y a donc lieu de juger désormais qu’il résulte des articles L. 3141-1 et L. 1225-55 du Code du travail, interprétés à la lumière de la directive 2010/18/UE du Conseil du 8 mars 2010, que lorsque le salarié s’est trouvé dans l’impossibilité de prendre ses congés payés annuels au cours de l’année de référence en raison de l’exercice de son droit au congé parental, les congés payés acquis à la date du début du congé parental doivent être reportés après la date de reprise du travail. 

Références : 

  • Décision : Chambre sociale du 13 septembre 2023, pourvoi n°22-14.043, S. c/ Sté CGR Texte de droit européen : clause 5 de l’accord-cadre figurant à l’annexe de la directive 2010/18/UE du 8 mars 2010 
  • Source de droit français attaquée : jurisprudences constantes de la Cour de cassation (Cass. soc., 5 mai 1999, n° 97-41.241 ; Cass. soc., 28 févr. 2001, n° 00-41.009 ; Cass. soc., 28 janv. 2004, n° 01-46.314, n° 123 ; Cass. soc., 25 mars 2010, n° 08-43.072)U

2. Arrêt maladie d’origine non professionnelle et acquisition de congés payés 

Situation avant le 13 septembre : la législation française et la jurisprudence rendue en application de celle-ci subordonnent l’acquisition de congés payés à l’exécution d’un travail effectif, excluant ainsi toutes les périodes de suspension du contrat de travail tels que les arrêts maladie.

Apport de l’arrêt : 

Les salariés acquièrent des droits à congés payés même pendant la suspension de leur contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.

Les faits d’espèce et la motivation

Des salariés soutenaient avoir acquis des congés payés malgré la suspension de leur contrat de travail en suite d’un arrêt maladie d’origine non professionnelle. La cour d’appel leur avait donné raison, en faisant application du droit européen et en écartant les dispositions de droit national non conformes. 

Saisie de ce différend, la Cour de cassation tranche dans le même sens que les juges du fond en considérant que : « la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, pendant la période de référence et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s’ensuit que, s’agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz[1]Hoff, 20 janvier 2009, C-350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, Dominguez, C-282/10, point 20) ».

Références :

  • Chambre sociale du 13 septembre 2023, pourvoi n°22-17.340
  • Texte de droit européen : article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, article 7 de la directive 2003/88/CE du 4  novembre 2003
  • Source de droit français attaquée L. 3141-3 du Code du travail

3. Maladie ou accident d’origine professionnelle et acquisition de congés payés

Situation avant le 13 septembre : les dispositions du Code du travail français limitent à une durée d’un an ininterrompu les périodes de suspension du contrat de travail pour maladie ou accident professionnels assimilées à du temps de travail effectif, permettant l’acquisition des congés payés.

Apport de l’arrêt :

Le plafond d’un an pour l’acquisition des congés payés est écarté. La totalité de l’arrêt maladie doit donc être prise en compte pour le calcul des droits à congés payés.

Les faits d’espèce et la motivation :

Dans cette affaire, un conducteur receveur d’une société de transports avait été victime d’un accident de travail en février 2014 et placé en arrêt maladie jusqu’à octobre 2015. Le médecin du travail l’ayant déclaré inapte définitivement, le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Contestant les sommes versées par l’employeur suite à la rupture de son contrat et notamment l’indemnité relative aux congés payés, le salarié a saisi les juridictions prud’homales, la Cour d’appel, puis la Cour de cassation arguant de la violation par les juges du fond des dispositions issues de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. 

Une fois encore, la Cour de cassation tranche en faveur du salarié en considérant que les juges auraient dû « écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-5 du Code du travail en ce qu’elles limitent à une durée ininterrompue d’un an les périodes de suspension du contrat de travail pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle assimilées à du temps de travail effectif pendant lesquelles le salarié peut acquérir des droits à congés payés et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du Code du travail».

Références

  • Décision : Chambre sociale du 13 septembre 2023, pourvoi n°22-17.638
  • Texte de droit européen : article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
  • Source de droit français attaquée : L. 3141-5, 5° du Code du travail

4. Indemnité de congés payés et prescription Décision :

Situation avant le 13 septembre : il est de jurisprudence constante qu’il convient d’appliquer la prescription triennale relative aux salaires aux demandes concernant les congés payés, ces derniers ayant une nature salariale. Le point de départ fixé jusqu’alors pour cette prescription triennale était l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés auraient pu être pris.

Apport de l’arrêt :

Le point de départ du délai de prescription court bien à partir de l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient dû être pris mais à la condition que l’employeur ait mis le travailleur en mesure d’exercer ce droit en temps utile.

Les faits d’espèce et la motivation :

Une personne a collaboré avec l’Institut national des formations notariales entre 2001 et 2018. A cette date, le contrat a été rompu par l’envoi d’une lettre. S’estimant liée à l’Institut par un contrat de travail, la personne a demandé une reconnaissance de son statut de salariée et diverses sommes au titre de salaires et indemnités. Les prud’hommes ne lui ayant pas donné satisfaction, la cour d’appel a été saisie. La personne a partiellement obtenu gain de cause, notamment en ce sens que son statut d’enseignante au sein de l’Institut lui a été reconnu. Sa réintégration est prononcée et lui sont accordés des rappels de salaires, primes et indemnités au titre de congés payés, uniquement à partir de 2015. Or c’est là que réside le cœur de l’affaire. La salariée sollicitait des indemnités à compter de 2005. 

La cour d’appel arguant de la prescription triennale prévue par le Code du travail ne lui avait pas donné raison. La Cour de cassation, faisant application de la jurisprudence européenne, en décide autrement : « Il y a donc lieu de juger désormais que, lorsque l’employeur oppose la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris dès lors que l’employeur justifie avoir accompli les diligences qui lui incombent légalement afin d’assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement son droit à congé ».

En conclusion, le Gouvernement va devoir modifier le droit du travail français pour transposer ces directives européennes et prendre en compte de manière effective les décisions de la Cour de cassation.

Références

  • Chambre sociale du 13 septembre 2023, pourvoi n°22-10.529
  • Texte de droit européen : article 31, paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et CJUE 22 septembre 2022, LB c/ TO, C- 120/21, points 45 et 48
  • Source de droit français attaquée : jurisprudence constante rendue au visa des articles D3141-7 et L.3245-1 du Code du travail notamment Cass. soc. 14-11-2013 n° 12- 17.409
  • CJUE, 9 nov. 2023, aff. jtes C-271/22 à C-275/22, Keolis Age4

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