Audrey Marcourt

Réforme des retraites # 2 : Juridica fait le point.

D’abord, un bref rappel de la pénibilité au travail : un salarié exposé au travers de son métier « à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels susceptibles de laisser des traces durables, identifiables et irréversibles sur sa santé ». Il existe plusieurs critères de pénibilité dont la manutention de charges, le travail de nuit, l’exposition aux bruits, etc.

Sommaire

Protection de l’usure professionnelle

La réforme crée deux fonds, une modification des conditions d’utilisation du Compte Professionnel de Prévention (C2P) et l’utilisation du Projet de Transition Professionnelle (PTP) pour changer de métier.

Création de deux fonds spécifiques destinés à la prévention de l’usure professionnelle

Le fonds d’investissement dans la prévention de l’usure professionnelle

Ce fonds est créé au sein de la commission des accidents de travail et des maladies professionnelles de la Cnam (Caisse nationale d’assurance maladie).

Le fonds devra aider les employeurs à financer des actions de sensibilisation, de prévention, de formation, de reconversion, de prévention de la désinsertion, des salariés exposés à des risques professionnels.

Le fonds pourra financer :

  • des entreprises, surtout celles identifiées par la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) ;
  • des organismes professionnels de santé, de sécurité et des conditions de travail de branche qui auront conclu une convention avec la Cnam ;
  • l’institution nationale France compétences qui répartira ensuite la dotation entre les commissions interprofessionnelles régionales.

Le fonds de prévention à l’usure professionnelle en soutien aux employeurs des établissements publics de santé et médico-sociaux

Ce fonds soutiendra les établissements de santé et médico-sociaux publics. Il financera ainsi les actions de prévention de l’usure professionnelle et aménagera les dispositifs de fin de carrière.

Utilisation du Compte Professionnel de Prévention (C2P) pour une reconversion

Actuellement, le C2P est un compte professionnel sur lequel le salarié cumule des points lui permettant :

  • de financer une formation professionnelle ;
  • de passer à temps partiel avec maintien de rémunération. La loi introduit une nouveauté en limitant le recours aux points du C2P pour passer à temps partiel avant 60 ans – décret à paraître.
  • de bénéficier d’un départ anticipé en retraite.

La loi permet une quatrième option pour le salarié :  une formation en vue d’une reconversion à un emploi non exposé à des risques professionnels, à tout moment de sa carrière : la prise en charge, les bilans de compétences, la validation des acquis de l’expérience, etc. s’impose désormais.

En outre, la loi crée un « congé spécial de reconversion professionnelle », permettant aux salariés de suivre leur formation pendant le temps de travail, avec maintien de rémunération.  Ces congés s’apparentent à du temps de travail effectif, donc pris en compte au titre de l’ancienneté.

Par ailleurs, les salariés « poly-exposés » qui subissent plusieurs facteurs de risques professionnels acquièrent des points plus facilement. Le plafond actuel de cent points pouvant être crédités sur le C2P est supprimé. Des décrets doivent paraître pour préciser le dispositif.

Utilisation du PTP pour exercer un métier non exposé à un facteur de pénibilité

Actuellement, les salariés peuvent changer de profession par le biais du PTP en utilisant leur compte personnel de formation. La réforme complète ce dispositif en permettant aux salariés à risques d’accéder à un métier non exposé en ayant recours au PTP. Grâce à la dotation reçue par France Compétences dans le cadre du fonds créé à cet effet, le PTP du salarié sera ainsi co-financé (le co-financeur étant l’employeur). Pour pouvoir en bénéficier, le salarié devra justifier d’une durée minimale d’activité dans un métier à risques.

 Transition emploi-retraite

Cumul emploi-retraite

De nouvelles mesures favorisent la reprise d’une activité professionnelle par des seniors.

Actuellement, une mesure permet à un assuré de bénéficier du cumul emploi-retraite intégral en touchant l’intégralité de sa pension de retraite (de base et complémentaire) tout en exerçant une activité professionnelle.

A noter : la reprise de cette activité n’ouvre pas droit à de nouveaux droits au titre de la retraite. En revanche, les cotisations sociales doivent être acquittées sur les salaires gagnés.

Deux conditions cumulatives pour cela :

  • toucher une retraite à taux plein ;
  • avoir liquidé la totalité de ses pensions vieillesses personnelles.

A défaut, le cumul emploi-retraite est possible mais reste plafonné.

Dès septembre 2023, les assurés qui reprendront une activité ne cotiseront plus à perte et se verront offrir la possibilité de toucher une seconde pension en contrepartie des cotisations versées dans le cadre du cumul emploi-retraite.

Cette seconde pension ne bénéficiera d’aucune décote, surcote, majoration, complément, etc. 

Par ailleurs, en cas de décès du retraité, le conjoint pourra bénéficier d’une pension de réversion au titre de cette seconde pension (régime général et agricole).

Retraite progressive

La retraite progressive permet à un salarié en fin de carrière de réduire son activité professionnelle tout en commençant à toucher une partie de sa retraite.

Tout d’abord, l’information des assurés en matière d’accès à la retraite progressive est renforcée par deux mesures :

  • une simulation de retraite progressive sera jointe à l’estimation des droits de l’assuré ;
  • Pôle Emploi (désormais France Travail) devra informer les personnes sur les dispositifs de transition existants, notamment la retraite progressive.

Avant la réforme, la retraite progressive était ouverte aux salariés âgés de deux ans de moins que l’âge légal de départ (soit 60 ans) et cumulant au moins cent cinquante trimestres d’assurance. Avec la réforme, l’âge de départ suivra le relèvement progressif de l’âge de départ.

Le temps de travail devait jusqu’alors être compris entre 40 à 80 % de la durée légale ou conventionnelle du travail applicable dans l’entreprise. Grâce à la réforme, le salarié peut demander à travailler moins que la durée minimale de travail à temps partiel requise.

Enfin, le salarié et son employeur doivent être d’accord pour le passage à la retraite progressive. Bien que l’employeur soit en droit de le refuser, les motifs seront désormais limités : seule l’incompatibilité de la durée du travail souhaitée avec l’activité économique de l’entreprise peut justifier un refus, sachant qu’aucune définition ou critère objectif n’a été précisé dans la loi.

Dans ce cas de figure, l’employeur doit répondre au salarié dans un délai de deux mois à compter de la réception de la demande, à défaut, elle sera réputée acceptée.

Autres apports de la réforme sur cette mesure :

  • De nouveaux salariés deviendraient bénéficiaires du dispositif, à savoir ceux non soumis à une durée du travail, par exemple des VRP, pigistes, etc.
  • Actuellement plafonnées, les indemnités journalières versées par la Sécurité Sociale en cas de maladie ne seront plus limitées à soixante jours.
  • Les travailleurs indépendants dont les professionnels libéraux et avocats pourront désormais bénéficier de la retraite progressive.
  • Le dispositif déjà existant pour les exploitants agricoles est modifié et adapté aux nouvelles conditions d’âge et d’assurance.
  • les titulaires d’une pension d’invalidité pourront désormais bénéficier de la retraite progressive.

Régime social des indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite

Depuis quelques années, on utilise la rupture conventionnelle  pour procéder à la rupture du contrat de salariés avant l’âge légal de la retraite (en moyenne trois ans avant l’âge légal). Ces pratiques sont contraires à la volonté gouvernementale du maintien des seniors dans l’emploi.

Pour endiguer ces ruptures prématurées, la réforme harmonise le régime social des indemnités de rupture conventionnelle et de mise à la retraite. En lieux et places des contributions patronales de 50 % sur les indemnités de retraite et forfait social de 20 % sur les indemnités de rupture conventionnelle, est désormais créée la contribution patronale de 30 % applicable sur la fraction de l’indemnité exonérée de cotisations.

Le législateur modifie le régime social des indemnités de rupture conventionnelle. On ne distingue plus la situation du salarié selon qu’il est ou non en droit de bénéficier d’une pension de retraite au moment de la rupture conventionnelle individuelle. De nombreux professionnels du droit évoquent de possibles modifications/précisions de ce dispositif avant le 1er septembre 2023. A suivre donc.

Dispositions spécifiques aux seniors

Des mesures ont été censurées par le Conseil constitutionnel, dont des mesures spécifiques aux seniors,

N’entreront donc pas en vigueur :

  • L’index senior : censé pousser les grandes entreprises à être transparentes sur le nombre de postes occupés par des salariés en fin de carrière (de plus de 55 ans) ;
  • CDI senior : il s’agissait d’un CDI destiné à faciliter l’emploi de longue durée de personnes âgées de plus de 60 ans.

La mesure concernant l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) a été validée.

 Ce « minimum vieillesse » est accordé aux personnes âgées en situation de précarité et n’ayant pas assez cotisé au système d’assurance vieillesse. Cette aide mensuelle est accordée sous condition de ressources et de résidence en France. Auparavant, la durée de résidence en France par an était de six mois et passe à neuf mois avec la réforme.

Par ailleurs, cette aide est dite récupérable sur la succession. Cela signifie que lorsque le bénéficiaire décède, l’ Etat récupère sur la succession une partie du montant de l’aide versée. Avant la réforme, le montant de l’actif net de la succession devait dépasser 39 000 € pour pouvoir déclencher le recours sur succession. Désormais, ce montant est porté à 100 000 € et évoluera en fonction de l’inflation. En deçà, l’ASPA ne sera donc plus récupérable. Le Gouvernement souhaite inciter les personnes âgées potentiellement bénéficiaires de l’aide, à réclamer l’ASPA.

Cette mesure est applicable pour toutes les retraites liquidées dès le 1er septembre prochain.

Mesures touchant aux fonctionnaires

Fin des régimes spéciaux

La loi sonne la fin des régimes spéciaux pour les personnes qui seront recrutées dès le 1er septembre 2023. Sont visés les régimes :

  • de la RATP ;
  • de la Banque de France ;
  • des clercs et employés de notaire ;
  • des membres du conseil économique, social et environnemental ;
  • des industries électriques et gazières (soit EDF, GrDF, ERDF, Engie…).

Pour les agents recrutés à compter de cette date, l’affiliation au titre de la retraite sera faite auprès du régime général. Pour le personnel en poste, l’affiliation restera au régime spécial en vertu de la clause dite du « grand-père ».

Certains autres régimes particuliers comme les marins, l’Opéra de Paris, la Comédie Française, demeurent sans modification.

Report de l’âge légal, durée de cotisation et autres dispositions

Toutes les dispositions énoncées en début d’article au paragraphe concernant le report de l’âge légal à 64 ans, la durée de cotisation, l’âge de départ à la retraite sans décote à 67 ans sont également applicables aux fonctionnaires sédentaires, qu’ils soient fonctionnaires ou contractuels.

Des dispositions spécifiques

Elles s’appliquent toutefois aux catégories d’agents publics considérées comme actives ou super actives, bénéficiant actuellement d’un départ anticipé en retraite en raison de la nature de leur emploi qui présente un risque particulier ou une fatigue exceptionnelle.

Pour rappel, les actifs sont notamment les sapeurs-pompiers, les infirmiers, les aides-soignants ; les super actifs sont les égoutiers, les surveillants pénitentiaires, les policiers de la police nationale, les identificateurs de l’Institut médico-légal de la préfecture de Paris. Ils représentent environ 20 % des agents publics. Leur âge de départ à la retraite est reculé de 57 à 59 ans pour les premiers et de 52 à 54 ans pour les seconds, sans que la durée de service actif exigée ne soit changée (elles restent ainsi de 17 et 27 ans selon les métiers).

En revanche, les règles applicables pour le calcul de la surcote et de la décote ne sont pas modifiées.

En résumé, la décote est un coefficient de minoration appliqué à la pension de retraite, dès lors que le nombre de trimestres cotisés est inférieur à celui nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.

A partir d’un certain âge, on dit que l’assuré a atteint l’âge pivot ou l’âge butoir qui entraîne l’annulation de la décote même s’il n’a pas suffisamment cotisé. Cet âge diffère selon les métiers.

Les âges d’annulation de la décote ne sont pas modifiés par la réforme. Les sédentaires l’atteignent à 67 ans, 62 ans pour les actifs, et 57 ans pour les super actifs.

La surcote, à l’inverse, est un coefficient de majoration lorsque l’assuré continue de travailler au-delà de la durée d’assurance requise.  Elle ne fait pas non plus l’objet d’une modification.

Prolongation d’activité jusqu’à 70 ans

Actuellement, seuls les agents ayant encore des enfants ou ceux dont la carrière est incomplète ont la possibilité de poursuivre leur activité jusqu’à 70 ans. Afin d’encourager le travail des seniors, cette possibilité est généralisée à tous les agents publics sédentaires ou contractuels. De plus, le refus d’autorisation devra nécessairement faire l’objet d’une motivation de la part de la hiérarchie.

Pour les actifs, les limites d’âge sont fixées à :

  • 57 ans pour le corps d’encadrement et d’application et le corps de commandement ;
  • 60 ans pour les commissaires de police ;
  • 62 ans pour les sapeurs-pompiers professionnels.

Fin de la clause d’achèvement et ouverture d’un droit à la portabilité

Actuellement, pour pouvoir partir en retraite anticipée, les fonctionnaires des catégories actives et super actives doivent valider une durée de service minimum (17 ans ou 27 ans) et ont surtout l’obligation d’achever leur carrière sur l’emploi actif pour bénéficier des droits acquis au titre de cet emploi. C’est désormais fini, cette clause d’achèvement est supprimée, les agents conserveront ainsi leurs droits en cas de mobilité.

Par ailleurs, la loi prévoit désormais que l’ensemble des services en catégorie active sera pris en compte pour bénéficier d’un départ anticipé, même si le fonctionnaire a changé de métier durant sa carrière. Les fonctionnaires ayant effectué plusieurs métiers dépendant de catégories actives pourront cumuler leurs années de service.

Départ en retraite pour les professeurs des écoles 

Jusqu’à maintenant, un enseignant du premier degré devait attendre la fin de l’année scolaire entamée pour pouvoir partir à la retraite (mesure qui ne s’appliquait pas à l’enseignement secondaire). La loi supprime cette disposition en leur permettant donc de partir en cours d’année.

Dispositions similaires ou identiques à ceux prévus dans le privé

Elles concernent :

  • Les carrières longues ;
  • La retraite progressive ;
  • Le cumul emploi-retraite ;
  • La surcote anticipée pour les mères de famille.

Pour rappel, un fonds de prévention de l’usure professionnelle dans les secteurs hospitalier et médico-social est créé (cf. point D, 1).

Sources : loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, publiée au JO du 15 avril 2023, décision n° 2023-849 DC du 14 avril 2023 du Conseil constitutionnel.


Le coin du juriste

  • les travailleurs indépendants, les professionnels libéraux, les avocats, les exploitants agricoles profitent de ces mesures à l’exception des médecins retraités bénéficiant d’une exonération de cotisations (au titre de l’article 13 de loi du 23 décembre 2022 de financement de la Sécurité sociale) ;
  • la liquidation de la seconde pension n’ouvre droit à aucune indemnité de départ ou de mise à la retraite.

Nota bene : nous ne développerons pas les dispositions spécifiques à savoir celles concernant les assurés percevant une pension d’invalidité ainsi que la possibilité en cas de crise (similaire à celle du Covid 19) de déplafonner le cumul emploi-retraite pour certaines activités.

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